samedi 9 mars 2024

IVG dans la constitution : dépassons la simple opération de communication

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Tel est le texte publié au Journal Officiel et qui a été ajouté à l’article 34 de notre constitution suite au vote des députés et sénateurs réunis en congrès lundi 4 mars (780 pour, 72 contre).
Ce vote est ainsi l’aboutissement de nombreux mois de débats autour de l’opportunité de constitutionnaliser l’IVG, nés de la volonté du président Macron estimant que « les reculs de notre époque en ont fait une nécessité et une urgence ». Rappelons, à toute fin utile, que celui-ci faisait notamment référence à l’annulation par la Cour suprême des Etats-Unis en juin 2022 d’un arrêt fédéral, Roe vs Wade, qui garantissait depuis 1973 le droit d'avorter sur tout le territoire. Chaque Etat américain étant depuis libre de déterminer sa propre politique en matière d'accès à l’IVG.

D’aucuns ont alors estimé que cet évènement, combiné aux contestations dans certains pays d’Europe (Pologne, Hongrie), pouvait présenter un risque dans notre pays, et ce alors même que l'IVG est légalisée en France depuis la loi Veil de 1975. Pour autant, certains considèrent que son ajout dans la constitution compliquerait les possibilités de la remettre en cause. Plus encore, l’Elysée reconnait qu’il s’agit là davantage d’un symbole, d’un marqueur extrêmement fort qui s’inscrit dans « un combat qui a énormément de valeur aussi dans le débat international. »

Alors que penser de tout cela ? Existait-il un réel risque quant à une remise en question en France ? Personnellement je ne le crois pas. Aucun parti ou force politique majeur dans notre pays ne prône l’abolition de l’IVG. Preuve en est d’ailleurs que son instauration dans la constitution a été votée à une très large majorité. On pourra toutefois regretter que ceux qui s’opposaient à cette révision constitutionnelle soient caricaturés en affreux réactionnaires anti-IVG. Car finalement la question posée n’était pas d’être pour ou contre l’IVG mais de savoir si celle-ci devait être mentionnée en l’état dans la constitution. Et donc plus largement de s’interroger sur les contours de notre constitution qui consiste fondamentalement à organiser et régir le fonctionnement de nos institutions.

Pour ma part je reste sceptique sur l’utilité réelle de cette constitutionnalisation. D’une part, car je considère à l’instar de Gérard Larcher que « la Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux ». D’autre part car j’estime que ce vote ne garantit en rien l’immuabilité du droit à l’avortement dans la mesure où un nouveau vote pourra tout fait, certes plus difficilement qu’une simple loi, annuler cette décision en révisant à nouveau la constitution. Cela étant, et comme on dit chez moi, cela ne mange pas de pain donc mieux valait voter en faveur de cette mesure.

Et si finalement tout ceci n’était qu’une diversion, un subterfuge politique on ne peut plus classique qui consiste à user du sociétal pour détourner le regard tout à la fois des carences du gouvernement en matière sociale et des errements présidentiels à l’international ?
Pire encore, ne serait-ce pas là une mesure purement égotique du chef de l’Etat visant à laisser une trace dans l’Histoire faute de briller en d’autres domaines ?
Quoi qu’il en soit, si Emmanuel Macron voulait agir réellement en faveur de l’IVG il devrait alors tout mettre en œuvre pour rendre ce droit véritablement effectif afin que les femmes qui le souhaitent puissent y accéder dans de bonnes conditions de délais, d’infrastructures et d’accompagnement. 

 


 

samedi 2 mars 2024

Groupes de niveaux or not groupes de niveaux, that is the question

A quelques jours du retour à l’école pour un grand nombre d’élèves, quoi de mieux que de se pencher sur le sujet polémique de ces dernières semaines : l’instauration de groupes de niveaux en français et en maths pour les classes de 6ème et 5ème à la rentrée 2024.

Cette question soulève un vaste rejet de la part de la communauté éducative, entre autres pour des aspects de moyens humains et logistiques. Indéniablement cela va poser de véritables problèmes dans les collèges, y compris en termes d’emploi du temps. Mais ce ne sont pas ces aspects, aussi importants et légitimes soient-ils, qui m’intéressent. En réalité, c’est davantage la « mécanique intellectuelle, la philosophie » qu’il y a derrière la mesure annoncée en décembre par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, qui m’a poussé à m’interroger.

 

Pour résumer en quelques mots l’argumentaire des opposants à ce dispositif, l’idée est de dire que celui-ci va imposer une ségrégation institutionnalisée des collégiens et va conduire à stigmatiser les élèves en difficultés en leur apposant une étiquette dès le début de l’année. Et tout cela en amplifiant les inégalités au lieu de les réduire ce qui était l’objectif initial. Preuve en serait qu’un certain nombre d’études iraient en ce sens.

Cela étant posé, sommes-nous bien plus avancés ? Pas totalement à vrai dire. Sauf à considérer que l’argument d’autorité des études sur le sujet met un point final au débat. Trop simpliste à mon sens et ce d’autant plus où d’autres études sont davantage mesurées dans leurs conclusions indiquant que ces groupes permettent notamment aux plus forts de progresser plus encore que s’ils étaient dans une classe multiniveaux.

 

Mais peut-être avons-nous mis là le doigt sur un aspect qui fâche. Des élèves déjà bons dans un domaine continueraient à progresser, creusant ainsi l’écart avec leurs camarades. Quelle hérésie pour les défenseurs d’un égalitarisme à toute épreuve ! Faudrait-il alors brider ces enfants là pour ne pas heurter ceux qui sont le plus en difficulté ? Belle opération de nivellement par le bas …

 

Mais laissons un peu de côté l’ironie pour poser quelques constats qui, s’ils peuvent déplaire, n’en sont pas moins une réalité. Même si l’on souhaiterait le contraire, les élèves ne sont pas tous égaux et ne disposent pas tous des mêmes capacités, que cela s’explique par leur situation familiale, culturelle, économique ou même pour des raisons propres à l’individu. Indéniablement, certains enfants sont favorisés par rapport à d’autres et verront leurs possibilités accrues du fait de ce contexte.

Partant de cet état de fait, le rôle de l’école ne doit-il pas être de chercher justement à réduire cette inégalité des chances ? Et donc d’œuvrer à donner les moyens à chacun d’acquérir les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui lui permettront de s’accomplir ? Poser la question c’est finalement y répondre. Et si j’en suis convaincu je crois pourtant que, malheureusement, notre système éducatif peine à réaliser cet objectif.

 

Pointer du doigt l’ensemble des maux de l’Éducation Nationale serait bien trop long et serait d’ailleurs hors sujet par rapport au sujet qui nous occupe. Pour autant, profitons de l’occasion pour préciser que la question des moyens et par conséquence la problématique des effectifs est une difficulté majeure de notre système. Comment imaginer que nos enfants apprennent et progressent dans des classes surchargées à 30 élèves voire plus parfois. Impossible alors d’espérer un quelconque accompagnement individuel de qualité.

 

Mais alors est-ce que des groupes de niveaux serait la solution à tout ? Clairement non. Et si c’était le cas, cela aurait été mis en place depuis belle lurette. Malgré tout cela pourrait faciliter les choses par moment.

Si j’ai évidemment été élève il y a de cela quelques années (voire un peu plus), j’ai également eu la chance de donner des cours de comptabilité-gestion pendant une dizaine d’années à l’université et en école de commerce. L’idée n’est pas de tirer des vérités immuables de cette expérience dans l’enseignement supérieur car la population n’est pas la même qu’en école ou au collège. Pour autant, les problématiques rencontrées en termes d’animation de classe peuvent, pour certaines, converger.

En en particulier la notion d’effectifs intervient au premier chef d’où la nécessité absolue de plafonner les classes à 20-25 élèves voire moins si cela est possible. Et cela s’avère d’autant plus indispensable dans le cas de classes hétérogènes avec d’importantes disparités de niveaux. Sur ce dernier point d’ailleurs, je considère que pour un enseignant le fait d’avoir des élèves avec des écarts de niveaux significatifs constitue un obstacle supplémentaire au bon accomplissement de sa mission. De fait, cela conduit inévitablement à tenir un cap commun frustrant à la fois les meilleurs qui seront ralentis et les plus faibles qui se sentiront à la traine. Bref, un double effet kiss cool négatif.

A l’inverse, un regroupement des élèves de manière plus homogène permettrait d’avoir un rythme plus adapté aux besoins. Alors oui il est probable que certains groupes aillent plus vite et plus loin que d’autres. Oui certains groupes seront plus faibles que d’autres. Et alors ? N’est-ce pas d’ailleurs déjà le cas dans le système actuel avec une tête de classe et un peloton de queue que chaque professeur identifie aisément ? En quoi donc ces groupes de niveaux constitueraient une aberration s’ils permettaient que chacun puisse progresser à son rythme par un accompagnement renforcé ?

 

Rejeter par principe les groupes de niveaux ne fera pas reculer les écarts entre élèves. Et refuser de voir le problème ne le fera pas subitement disparaitre. C’est au contraire en prenant ce problème à bras le corps et en mettant en place des mesures ciblées sur ceux qui en ont le plus besoin telles que du soutien scolaire gratuit que l’on pourra corriger le tir.

dimanche 18 février 2024

Back to the chroniques ?

2 191. Voilà le nombre de jours qui nous sépare du dernier article sur ce blog. C’était le 18 février 2018 et je dissertais sur le thème de l'éducation. Depuis cette date, beaucoup de choses se sont passées, tant à l’échelle du monde et de notre pays bien sûr que de ma vie personnelle. En particulier, la temporalité de ce dernier article coïncide avec la montée en puissance de mon engagement local au sein de la commune de Pont de Claix. Celui-ci m’ayant conduit à délaisser ce blog au profit d’une alimentation plus prolifique de la page Facebook du collectif Pont de Claix Autrement que j’animais à l’époque. Chemin faisant, cet espace de réflexion en ligne s’est transposé IRL (In Real Life) jusqu’à initier une candidature, finalement avortée, pour les élections municipales 2020.

La naissance de ma fille cette même année puis l’épisode du Covid ont ensuite bouleversé notre mode de vie ainsi que notre quotidien, celui-ci l’étant d’autant plus du fait d’un déménagement sur la commune de Varces. Par la suite, et malgré des envies éphémères de reprendre la plume, des évolutions professionnelles suivies de plusieurs décès dans ma famille ont contribué à prolonger mon mutisme.
Pour autant, tous ces événements n’ont pas dissipé mon intérêt pour la vie politique et la chose publique. Ils m’ont toutefois permis de relativiser et de prendre du recul sur un certain nombre de choses. Gandhi disait « je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ». Si cette citation peut paraître triviale de prime abord, je crois qu’elle sied bien aux dernières années de vie. Charge à nous, à moi de tenir le cap et de poursuivre les objectifs fixés.
Dans cette logique, après une mise en sommeil de 6 années, mon ambition est de redonner vie à ce projet de blog initié en mai 2008 alors que je débutais mes études dans l’enseignement supérieur. Tant d’heures passées, tant de plaisir pris à rédiger ces près de 500 textes à intervalles plus ou moins réguliers. Le challenge à relever n’en sera que plus grand et nous verrons d’ici quelques mois si la mission est accomplie.
Pour l’heure, et au moins l’espace de quelques instants, les chroniques de Tomgu sont de retour !

dimanche 18 février 2018

Blanquer à l'éducation nationale : gare au réveil !



Voilà maintenant plusieurs mois que je n'avais pas repris le clavier pour alimenter ce blog. Et les derniers articles étaient davantage consacrés à mes récentes lectures qu'à l'expression de mes analyses de l'actualité. Je dois reconnaître que mon engagement local tend à s'intensifier et occupe donc une place de plus en plus grande dans mon emploi du temps. Emploi du temps déjà bien rempli par mon activité professionnelle de contrôleur de gestion ainsi que par les cours que je dispense à l'université et à l'école de commerce de Grenoble.

2017 aura été une année électorale importante avec la présidentielle suivie des législatives. Je ne me suis pas spécialement exprimé sur ce sujet ici dans la mesure où beaucoup de choses ont déjà été dites sur l'irruption de candidats soi-disant neufs et l'avènement d'un prétendu nouveau monde. Pour faire court, je considère qu'il s'agit là d'une illusion, pour ne pas dire d'une véritable escroquerie, et que rien ne ressemble plus au nouveau monde que l'ancien, avec la rémanence des vieilles méthodes et la poursuite des politiques libérales du passé. Gageons que nos concitoyens se rendront rapidement compte de la supercherie, en espérant que cette prise de conscience ne soit toutefois pas trop tardive.

Nous aurons certainement d'autres occasions de revenir sur la politique menée par Emmanuel Macron et notamment sur sa capacité à faire diversion grâce à une communication plutôt bien maîtrisée. Je souhaite aujourd'hui m'intéresser plus particulièrement à son ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer et à ses récentes réformes. Incontestablement le ministre est à l'heure actuelle un maillon fort du gouvernement et bénéficie d'une certaine aura, à la fois auprès des sympathisants de gauche et de droite. Convenons toutefois que le fait de succéder à Najat Vallaud-Belkacem n'est très certainement pas étranger au phénomène.

Les premiers mois de Blanquer rue de Grenelle se sont donc passés donc sans accroc majeur. Mieux, celui-ci a su imposer sa marque en revenant aux fondamentaux et à une logique d'instruction publique plus en phase avec les aspirations des Français, à l'opposé du pédagogisme ambiant de ces dernières années. Pensée que je défends pour ma part depuis longtemps.

Pour dire vrai, j'ai également été séduit par les premières mesures mises en œuvre suite à sa nomination : détricotage de la réforme du collège, dédoublement des classes de CP et CE1, aides aux devoirs … Pour autant, cette rupture avec le quinquennat précédent, qui lui a valu le surnom de "ctrl-z", ne doit pas conduire à un aveuglement béat. Bien au contraire car un examen plus minutieux de la matérialité des annonces fait apparaître une réalité quelque peu différente.

Et à ce niveau les exemples ne manquent malheureusement pas. Si les intentions sont louables, et j'en approuve un certain nombre, leur concrétisation est parfois plus hasardeuse. Clairement le retour des classes bilangues et de l'enseignement du latin et du grec est une très bonne chose mais cela s'est toutefois fait sans rétablissement des moyens dédiés qui avaient été supprimés. De même, le dédoublement des classes de CP et CE1 est une excellente idée qu'il faut généraliser à l'ensemble des établissements mais sans les écueils actuels (problème de place dans les écoles, fermetures de classes en milieu rural pour réallouer les postes en zones prioritaires …). Bref, de manière générale, il faut veiller à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Pour l'heure, Jean-Michel Blanquer fait la course en tête sans réelle contestation, l'opposition LR restant silencieuse, engluée dans ses rivalités internes. Mais le momentum du ministre risque de ne pas durer lorsque les réformes plus profondes vont se présenter. C'est d'ailleurs le cas avec les annonces autour du futur baccalauréat avec un examen allégé mêlant contrôle continu, grand oral et quatre épreuves écrites.

La contestation lycéenne est aujourd'hui limitée et nombre de leaders politiques se laissent porter par la vague. Chacun peut admettre que le fonctionnement de cet examen final et l'articulation lycée-enseignement supérieur ne sont pas satisfaisants. Pour autant, je crois que le bac est un bouc-émissaire tout trouvé permettant de s'affranchir d'une réflexion plus profonde. Incontestablement le niveau d'exigence au bac a considérablement baissé depuis de (trop) nombreuses années, motivé notamment par le souhait illusoire et contre-productif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac. Plus largement, et je ne peux que le constater avec mes étudiants, c'est le niveau général des élèves qui a régressé. C'est donc l'ensemble du cursus qu'il faut revoir, depuis la primaire avec un retour aux enseignements fondamentaux (lire, écrire, compter) jusqu'à l'université avec la mise en place assumée d'une réelle sélection à l'entrée.

Pour ce qui concerne plus particulièrement de l'examen du bac, puisque c'est de cela dont il s'agit, je dois avouer que pour moi la réforme proposée ne va pas dans le bon sens. Tout d'abord, la réduction du nombre d'épreuves me paraît être dommageable puisque cela revient à réduire l'effort de révision et de travail demandé aux candidats tout en créant une distorsion supplémentaire avec le système de partiels qui existe dans l'enseignement supérieur.
Ensuite, la fin des sections actuelles (S, ES, L), c'est-à-dire finalement la création d'une multitude de combinaisons et donc de parcours différents, tend à complexifier la lisibilité du diplôme tout en mettant à mal la cohésion et l'unité au sein des classes.
Enfin, la mise en place du contrôle continu est peut-être l'aspect le plus fondamental et le plus néfaste de cette réforme. En effet, ce système conduit à remettre en cause le caractère national du diplôme et donc à instaurer une rupture d'égalité, à la fois entre établissements mais également entre élèves. Dit autrement, cela revient à avoir un bac qui a une valeur différente selon que l'on se trouve au lycée Henri IV à Paris ou au lycée Saint-Exupéry dans les quartiers nord de Marseille.

Cette réforme du bac s'inscrit ainsi dans une logique plus large d'autonomisation accrue des établissements qui est actuellement en cours et qui va se développer. Si le fait d'accorder davantage de marge de manœuvre aux directeurs et autres proviseurs afin de s'adapter aux spécificités locales peut paraître séduisant, je crains au contraire que le remède soit pire que le mal. De fait, cela signifie la mort de l'égalité républicaine avec un socle commun d'apprentissage au profit d'un accroissement des inégalités entre établissements aisés qui continueront à assurer une formation de qualité et établissements des zones prioritaires qui chercheront eux à limiter la casse.

Ne soyons pas naïfs, ces inégalités existent déjà aujourd'hui. Nul ne peut le contester. Mais doit-on pour autant baisser les bras en institutionnalisant cet état de fait ? Ne devrait-on pas au contraire chercher à lutter contre ce phénomène en donnant à chacun les moyens de réussir, afin justement de mettre un terme à ces pernicieuses prédispositions sociales ?  

dimanche 10 septembre 2017

De Gaulle avait raison - Le visionnaire de Gérard Bardy

Des livres, encore des livres, toujours des livres ! L'été touchant à sa fin, je termine tranquillement mes lectures avant le tumulte de la rentrée. Dernière en date, un ouvrage de Gérard Bardy consacré au général de Gaulle : De Gaulle avait raison - Le visionnaire.

La finalité de l'auteur est claire : s'appuyer sur des citations, des écrits du général afin d'en montrer son côté visionnaire et le caractère actuel de sa pensée. Il ne s'agit pas pour autant d'imaginer ce qu'aurait dit ou fait de Gaulle mais bien de démontrer la pertinence de sa vision sur les enjeux  d’aujourd’hui. Si je ne suis pas totalement objectif dans la mesure où je suis un adepte de ce personnage historique, le pari est clairement réussi pour moi. Plus qu'un dogme ou une doctrine, le gaullisme est davantage une boussole, une grille de lecture. Bref, un héritage politique et moral que l'écrivain commence par nous définir dès les premières pages.

D'après lui le gaullisme est tout à la fois :
-          un humanisme : l'Homme est au cœur de la politique, son bien-être est un objectif
-          une ambition : référence à l'idée de grandeur, à cette certaine idée de la France
-          une volonté : conserver sa place dans le monde avec nation forte, libre, indépendante et souveraine
-          une révolte : défendre l'intérêt général contre les intérêts particuliers, lutter contre l'oppression (1940)
-          un engagement : maintenir un lien direct avec le peuple (suffrage universel, référendum)
Pour certains, les gaullistes (dont je suis) sont des nostalgiques d'une époque révolue qui vivent dans le passé. Céder à cette caricature serait évidemment bien trop facile et ce d'autant plus que le capitalisme et le socialisme sont des idéologies bien plus anciennes qui conservent pourtant de nombreux disciples à l'heure actuelle.

Mais laissons de côté le passé et revenons plutôt au temps présent et aux préoccupations actuelles : moralisation de la vie publique, représidentialisation de la fonction, dépassement des partis. Sur l'ensemble de ces sujets, Charles de Gaulle se révèle finalement être un précurseur. En tant que fondateur de la Vème République, de Gaulle a évidemment dessiné la fonction à son image. Mais plus encore, il considérait que la légitimité du président provient du peuple d'où l'absolue nécessité d'avoir un lien direct et répété avec la population que ce soit au travers des élections ou des référendums. Si cela s'est largement vérifié sous sa présidence avec cinq référendums en 11 ans de 1958 à 1969, la tendance s'est clairement inversée par la suite avec seulement cinq référendums en presque 50 ans. Dont bien sûr le déni de démocratie de Nicolas Sarkozy qui s'est allègrement assis sur le résultat du vote de 2005.
Outre ce souci de démocratie, de Gaulle avait une volonté d’exemplarité au sommet de l’Etat, une réelle éthique de comportement. Anticipant nos problématiques actuelles de moralisation de la vie publique, le général souhaitait "servir et non pas se servir". Ainsi celui-ci payait personnellement ses factures d'électricité à l'Elysée. On est bien loin des affaires de François Fillon et compagnie … Allant même jusqu'à inspirer François Hollande en 2012, de Gaulle s'opposait déjà aux forces de la finance et déclarait : "mon seul adversaire, celui de la France, n'a aucunement cessé d'être l'argent".
Autre point remis au goût du jour par Emmanuel Macron mais là encore déjà trusté par son lointain prédécesseur, le dépassement des clivages partisans. La force de de Gaulle était d’être au-dessus des partis, hors des logiques d’appareil, ce qui lui donnait une plus grande indépendance et une marge de manœuvre accrue. Ce dernier dénonçait déjà en 1966 les collusions entre partis et les lignes de clivage parfois artificielles : "tous les partis s'entendent comme larrons en foire et entre eux, je te tiens, tu me tiens par la barbichette".

La manière de gouverner de Charles de Gaulle n'est pas le seul aspect notable du personnage. N'oublions évidemment pas les grandes avancées sociales qui ont vu le jour sous sa présidence (droit de vote pour femmes, comités d'entreprise, sécurité sociale …) ainsi que sa vision d'avenir en matière de technologies (satellites, nucléaire civil et militaire).
Nous l'avons vu, pour de Gaulle l'humain doit être au cœur des politiques. Dans cet objectif, celui-ci à chercher à développer une 3ème voie, une alternative entre capitalisme et socialisme au travers d'un système d'association capital-travail. Concrètement, et bien que le concept n'ait pu être mené à son terme, il s'agissait d'accroitre la contribution des salariés aux destinées et résultats de l'entreprise par le biais d'un intéressement aux bénéfices et d'une participation à la gestion (salariés dans les conseils d'administration par exemple). On pourrait rapprocher cela d'une sorte de cogestion à l'allemande ou du modèle des SCOP visant à s'affranchir de l'opposition entre syndicats et patronat et de mettre un terme à la lutte des classes.

Si l'humanisme de de Gaulle est valable à l'intérieur de nos frontières, il l'est tout autant à l'extérieur avec une logique de coopération avec les nations pauvres et les pays en voie de développement. La notion de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes prend ici tout son sens au travers notamment des opérations de décolonisation. Mais également en matière de politique européenne car contrairement à ce que certains peuvent penser le général Gaulle était un vrai européen, convaincu de la nécessité d'alliances avec nos voisins. En revanche, et dans un souci de conserver la souveraineté et l'indépendance de notre pays, celui-ci privilégiait des coopérations entre nations et se méfiait des instances supranationales de type OTAN (dont il a d'ailleurs quitté le commandement intégré en 1966). On retrouve ainsi ces aspects dans une déclaration de janvier 1963 : "notre politique c'est de réaliser l'union de l'europe. Mais quelle europe ? Il faut qu'elle soit véritablement européenne. Si elle n'est pas l'europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. L'europe doit être indépendante."
A noter enfin que nul ne saurait contester sa réelle vision en matière de géopolitique avec une étonnante anticipation de faits majeurs historiques tels que la croissance de la Chine, la réunification de l'Allemagne, la chute de l'URSS ou encore le phénomène inéluctable de décolonisation.

Dernier point sur lequel je souhaitais revenir : l'université. Là encore cela fait totalement écho avec un enjeu actuel, à savoir la question de la sélection à l'entrée et la récente polémique autour du logiciel APB (Admission Post-Bac). Dès 1963, le général anticipait clairement le problème et défendait une solution simple que je soutiens totalement : "il ressort qu'un laisser-aller général livre les universités à des flots d'éléments inaptes à suivre les cours. La proportion des étudiants qui obtiennent un diplôme est à peine de 30 %. Se résigner à l'inondation, c'est soit aller au gaspillage d'une foule de jeunes carrières, soit consentir à l'abaissement du niveau des études et des examens et à l'attribution de titre sans valeur. Je tiens donc à instaurer, depuis le bas jusqu'en haut, l'orientation et la sélection."

On pourrait encore disserter pendant des heures sur Charles de Gaulle tant ses réalisations sont impressionnantes et ont pour la plupart toujours cours aujourd'hui. Mais au-delà de son action politique, le général est un personnage complet qui a finalement eu plusieurs vies (militaire, écrivain …) qu'il convient de saluer. Nul ne saurait égaler le fondateur de la Vème République et il serait illusoire d'attendre une telle personnalité pour relever notre pays. Pour autant, l'action et le parcours du général doivent nous inspirer afin de construire une réelle alternative aux forces partisanes actuelles. Cela ne sera toutefois pas possible sans conserver à l'esprit deux impératifs absolus que sont la souveraineté nationale et la souveraineté populaire.

mercredi 23 août 2017

"Tout pour la France" de Nicolas Sarkozy

Nouvel article aujourd'hui après celui sur le livre de Philippe de Villiers. Et nous restons dans la continuité de mes lectures estivales avec, là encore, l'essai d'un homme politique de droite. En l'occurrence celui de Nicolas Sarkozy, "tout pour la France", sorti à l'occasion des primaires de la droite et du centre organisées en novembre 2016.

Étrange de se lancer dans une telle lecture alors que l'élection présidentielle est passée, me direz-vous. En réalité, j'ai commencé ce livre il y a de (très) nombreux mois en ayant toutes les difficultés du monde à le boucler. Le fait que Nicolas Sarkozy ne soit pas ma tasse de thé, qu'il s'agisse du personnage ou de ses idées, n'y est probablement pas étranger. Mais je tenais toutefois à en arriver au bout, même avec un léger retard. Voilà chose faite donc en ce mois d'août.

Que dire alors de ce livre si ce n’est que celui-ci est articulé en chapitres autour de différents défis à relever pour le pays : la vérité, l’identité, la compétitivité, l’autorité et la liberté. Autant de défis permettant de dérouler les différentes propositions de l’ancien président de la République qui, comme Alain Juppé, a la volonté de tout dire, tout avancer durant la campagne afin d’avoir les mains libres pour faire après l’élection. Tout candidat a évidemment pour devoir de dire la vérité à ses concitoyens et ne pas faire, bien que ce soit parfois (souvent) le cas, de promesses démagogiques. Pour autant, l’élection ne vaut pas plébiscite et ne saurait constituer un blanc-seing pour la durée du mandat. Il me semble au contraire hautement risqué, et d’une certaine manière antidémocratique, de considérer qu’un succès à l’instant T permet d’imposer ses vues, et ce d’autant plus que l’ensemble du corps électoral ne n’est pas exprimé en faveur du vainqueur. Nos dirigeants devraient d’ailleurs méditer sur cela, évitant ainsi les dérives absolutistes.

Mais revenons-en à nos moutons et plus particulièrement aux premières pages de l’ouvrage. Nicolas Sarkozy cherche rapidement à donner le ton en nous expliquant "qu’il nous faut des idées neuves et ambitieuses " (p11) et que "les Français sont prêts à entendre et à accepter des remises en cause et des avancées qui auraient été inimaginables par le passé" (p11). Bref, le changement c’est maintenant … ou presque. Car pour moi la suite ne se révèlera finalement que peu engageante au vu des mesures, maintes fois vues et revues, mises en avant. La crédibilité de l’auteur est par ailleurs légèrement entaillée dès la page 15 lorsque celui-ci nous indique "qu’il croit à la souveraineté populaire". Un petit rappel du passage en force du traité de Lisbonne en 2007 suite au rejet du TCE par référendum en mai 2005 n’aurait visiblement pas été de trop.

Dans la continuité de 2007 et de son célèbre "travailler plus pour gagner plus", le candidat malheureux de 2012 fait l’éloge du travail qu’il tient pour un facteur d’épanouissement alors que ce dernier est souvent considéré comme une source d’aliénation. Pour lui il faut donc chercher à libérer le travail et aller vers un allongement de sa durée à la fois dans la semaine (retour sur les 35h) et dans la vie (report de l’âge légal de départ à retraite – 64 ans en 2025). Ces mesures s’inscrivent dans une réforme plus large du droit du travail où l’on retrouve la facilitation des licenciements, le plafonnement des indemnités prud’homales, la dégressivité des allocations chômage (-20 % au bout de 12 mois puis à nouveau -20 % au bout de 18 mois) ou encore l’inversion de la hiérarchie des normes (les accords collectifs prennent le pas sur le code du travail).
Pour Nicolas Sarkozy, ces réformes s’avèrent un mal nécessaire dans une logique de concurrence internationale. Selon lui, la mondialisation n’est pas un choix, une possibilité mais au contraire un phénomène inévitable face auquel notre pays doit s’adapter. Pour cela, la France doit gagner en compétitivité, ce qui passe inévitablement par une politique de l'offre favorable aux entreprises qui sont créatrices d’emplois. Suppression de l’ISF, suppression des charges sociales au niveau du SMIC et sur les emplois à domicile, simplification des normes administratives, travail le dimanche, mise en place du référendum d’entreprise pour dépasser le blocage des syndicats … Telles sont les recettes proposées pour, soit disant, retrouver le chemin de la croissance.
Sans oublier bien évidemment la réduction des dépenses publiques de 100 milliards d’euros et la suppression de 300 000 postes de fonctionnaires en cinq ans grâce au non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Mais Nicolas Sarkozy ne saurait faire du Nicolas Sarkozy sans ajouter à cette potion libérale une dose d’européisme (promotion du couple franco-allemand, gouvernance de la zone euro, élaboration d’un nouveau traité) et de mesures sécuritaires (création de places de prison supplémentaires, retour des peines planchers, déchéance de nationalité, enfermement préventif des djihadistes). Ajoutons à cela un passage sur l’immigration et la hausse des revendications communautaristes (délai de carence de 5 ans pour les étrangers avant d’accéder aux aides sociales, suppression de l’AME, réduction du regroupement familial) ainsi qu’un couplet sur l’autonomie des établissements scolaires (du primaire à l’université avec notamment une grande liberté accordée dans le recrutement et les programmes) et la boucle est bouclée.

Bien d’autres mesures sont évidemment évoquées dans ce livre programmatique de 240 pages. Il serait toutefois inutile d’y revenir dans le détail tant celles-ci ont été largement mises en avant durant la campagne et dont une partie ont été ou seront mises en œuvre durant le mandat d’Emmanuel Macron.

Régulièrement, et d’autant plus souvent en période électorale, nos hommes politiques nous ressortent le même refrain du "j’ai changé". C’est semble-t-il une grande spécialité de notre ancien président. Pour ma part, je crois que la constance est une qualité, en particulier en politique. Voilà pourquoi je terminerai mon propos en reproduisant ici même la conclusion d’un précédent article d'octobre 2016 sur le débat de la primaire de droite organisé par TF1.

Vieilles recettes pour les uns, véritable surenchère pour les autres, il est clair que ces propositions s'inscrivent dans la continuité des politiques menées ces dernières décennies avec toutefois, reconnaissons-le, des niveaux jamais atteints. Pour autant, comment croire que ces solutions seront efficaces cette fois-ci alors qu'elles ont toujours échoué par le passé ?