mardi 19 mai 2015

Ecole : de l'éducation nationale à l'instruction publique

Dire que l'éducation est un sujet qui me tient à cœur n'étonnera personne, et encore moins les lecteurs réguliers de ce blog. Et ce sujet est d'autant plus important qu'il concerne nos enfants et leur avenir.
En tant que citoyen et membre de la "communauté éducative" (j'interviens comme chargé de travaux dirigés à l'université de Grenoble), je ne peux qu'être interpellé par le projet de réforme du collège porté par Mme Vallaud-Belkacem.

Indéniablement notre système éducatif se meurt et ce depuis de nombreuses années. Outre la position de la France dans les classements internationaux, chacun peut constater autour de lui la baisse de niveau de nos élèves et l'augmentation croissante de l'échec scolaire. Il est donc évident que des mesures doivent être prises au plus vite afin de lutter contre ce phénomène de décrochage.

Mais encore faut-il s'attaquer réellement au fond du problème et ne pas proposer un remède pire que le mal. Or c'est ce que semble faire le gouvernement avec son projet actuel. Et ce n'est pas un hasard si j'ai choisi d'écrire cet article aujourd'hui puisque cela coïncide avec la journée de grève nationale à l'appel de la plupart des syndicats de profs (80% des voix lors des élections syndicales de décembre) et que je soutiens.

Il est assez intéressant de voir que les clivages autour de ce projet sont finalement transpartisans. Il n'existe pas, bien qu'on veuille le faire croire, de lutte franche entre d'un côté la gauche et de l'autre la droite. De fait, on retrouve des opposants aussi bien à l'UMP qu'au Front de Gauche en passant par le PS ainsi que dans les fédérations de parents d'élèves et le personnel enseignant. Large opposition donc pour une réforme qui va prétendument vers davantage d'égalité.

Et ce n'est finalement peut-être pas pour rien si la contestation est aussi large tant cette réforme touche à des thématiques différentes (programmes, organisation …). Une synthèse très bien faite de tout ceci a d'ailleurs été réalisée par un collectif de professeurs et permet d'y voir un peu plus clair : www.reformeducollege.fr

Si certains points cristallisent particulièrement les reproches, il s'avère en réalité que c'est la réforme dans son intégralité qu'il conviendrait de revoir. Mais je me concentrerais ici sur quelques aspects uniquement.
Tout d'abord, au prétexte de lutter contre un soi-disant élitisme, on va assister à la suppression pure et simple des langues anciennes actuellement enseignées par le biais des options grec et latin. De même, les classes bilangues seront évincées au profit de l'accès de tous à une LV2 en 5ème. Vaste fumisterie en réalité car cela reviendra à mettre un terme à des dispositifs efficaces et ouverts à tous qui permettaient finalement une certaine mixité. Pourquoi en priver les élèves méritants et ne pas au contraire chercher à les étendre ? Il est évidemment plus simple et moins coûteux de niveler par le bas plutôt que de s'aligner sur les meilleurs.

Dans le prolongement, et c'est l'argument des défenseurs du projet, des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) vont être créés. L'objectif étant de favoriser les travaux en groupe autour de sujets couvrant plusieurs matières à la fois. On y retrouve notamment les notions de civilisations anciennes (pour contenter les latinistes et hellénistes), de citoyenneté, de développement durable … Il s'agit pourtant là d'une volonté illusoire dont la mise en œuvre sera problématique pour les enseignants en termes de moyens et de préparation. On peut alors aisément imaginer les dérives autour de leur contenu réel et donc de leur pertinence et utilité. Pire, ces EPI se feront sur les heures de cours, au détriment d'autres enseignements (Français, Maths …).

Enfin, et dans la lignée de ce qui a été fait pour les universités, le collège s'oriente progressivement vers une relative autonomisation avec une plus grande marge de manœuvre octroyée aux chefs d'établissement. Cela se traduira notamment par la présence de chapitres facultatifs en Histoire (ce qui fait grandement débat actuellement) ou encore par la possibilité de fixer 20% de l'emploi du temps des collégiens. Très concrètement, cela signifie que deux élèves en même classe pourront avoir des enseignements différents et donc un socle de connaissances inégal à leur entrée au lycée. Là encore cette mesure ne va pas dans le sens de plus d'égalité car le risque est d'accroitre davantage les disparités entre établissements en fonction de l'utilisation de ces 20 %.

On pourrait disserter encore longuement sur le contenu de cette réforme tant il y a à redire. Car c'est finalement l'esprit même du projet qui est contestable. En effet, celui-ci s'inscrit toujours dans la perspective de mettre l'enfant au centre du dispositif. Non en tant qu'apprenant, ce qu'il est au final, mais plutôt comme individu à part entière. Ce projet nous maintient dans le modèle du collège comme lieu de vie et non comme espace d'apprentissage. Si l'objectif initial de lutter contre les inégalités est noble, il s'avère in fine que celles-ci seront renforcées. De fait, ce sont les établissements les plus défavorisés et les enfants des classes populaires qui sont ici sacrifiés dans la mesure où on les prive de dispositifs prétendument élitistes. Au prétexte de limiter les écarts de niveau, qui sont certes une réalité, on aboutit finalement à supprimer ce qui marche et à pénaliser les meilleurs élèves. Bref, l'inverse de ce qu'il faudrait faire.

Comme nous l'avons dit, l'école est un sujet de la plus haute importance et on ne peut donc que regretter la pauvreté du débat autour de cette réforme. En effet, les enjeux sont bien trop cruciaux pour se limiter à des attaques ad hominem. D'ailleurs, je trouve la réaction de Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, totalement déplacée et honteuse : "Madame Belkacem est attaquée pour quoi ? Parce qu'elle s'appelle Belkacem." On voit bien là toute la faiblesse d'un parti exsangue qui privilégie l'amalgame et l'invective aux dépens du débat d'idées.

Heureusement, d'autres personnalités politiques dépassent le stade de la seule critique pour avancer leurs propositions. C'est par exemple le cas de Jean-Pierre Chevènement, Jean-Luc Mélenchon, Bruno Le Maire ou Nicolas Dupont-Aignan. Ce dernier a notamment réalisé une conférence de presse sur ce sujet afin de proposer une contre-réforme autour de 20 mesures. Outre les proximités idéologiques anciennes, je ne peux qu'abonder dans le sens de ce contre-projet dans la mesure où il fait écho à mes précédentes prises de position sur le sujet (ici, , encore ici ou encore là).

Revenir aux fondamentaux (lire, écrire, compter), redonner aux enseignants les moyens et l'envie de travailler (nombre de professeurs, effectifs par classe réduits, revalorisation salariale, réaffirmation de l'autorité), promouvoir le mérite et le goût de l'effort (soutien scolaire personnalisé, retour/maintien des notes chiffrées, promotion de l'enseignement professionnel). Telle devrait être la feuille de route du gouvernement en matière d'Education Nationale. Car n'oublions pas que le rôle de l'école est d'abord et avant tout d'instruire.

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